Histoire de vie de Annie

Histoire de vie de Annie

TEMOIGNAGE « ENTOURAGE »

 Je viens vous parler d’une petite partie de ma vie, mais très importante pour moi : c’est mon entrée dans le groupe entourage et ça s’est passé en Janvier 1988.

Accompagnée de ma belle-sœur déjà adhérente à la Croix d’Or, je suis arrivée ce vendredi soir très mal à l’aise, la peur au ventre ; peur de quoi ?

–        la PEUR déjà de voir des personnes que je pourrais connaître,  moi qui ait tant caché le problème alcool de mon mari ;

–        la PEUR de devoir parler et dire des choses que je tenais secrètes depuis tant d’années. Que pourrait-on dire ?, que pourrait-on penser de moi, de nous ?

 Non c’est certain,  je ne dirai rien,  j’écouterai seulement.

Si seulement je n’avais pas été rendre visite à ma belle sœur et lui parler de nos problèmes ;  je l’appellerais bien pour lui dire que j’ai un empêchement et en même temps je ne peux pas puisque je lui ai dit que j’irais. Allez du courage,  de toute façon il faut faire quelque chose car ce n’est plus possible de continuer ainsi.

Comme convenu je passe la chercher et nous nous rendons toutes les deux à la réunion Entourage. Bien entendu nous étions à l’heure,  et toute comme ma belle-sœur j’ai salué les personnes présentes. A chaque fois que la porte s’ouvrait je m’inquiétais de voir s’il rentrait quelqu’un que je pouvais connaître.

Ouf, je ne connais personne,

Mado qui animait le groupe m’a présentée en disant que je venais pour la 1ère fois et que c’était courageux de venir, de franchir la porte ; je me suis sentie mal à l’aise et en même temps c’était gentil ce qu’elle me disait.

De toute façon je ne vais rien dire je vais seulement écouter.

Il y a eu un tour de table où chaque personne pouvait s’exprimer et donner de ses nouvelles depuis le mois dernier. J’étais très attentive à tout ce qui se disait et c’est curieux car ce que j’entendais et bien c’est ce que je faisais et ce que je

vivais à la maison : surveiller mon mari, faire des marques sur les bouteilles, écouter comme s’ouvre la porte le soir, tout contrôler en fait ; c’est surprenant j’avais l’impression qu’elles vivaient toutes à la maison tant mon fonctionnement ressemblait aux leurs  et mieux j’avais même l’impression que nous avions le même mari tant le comportement des leurs ressemblait à celui de mon mari.

 Je me souviens parfaitement de mon regard posé sur quelques personnes dont les conjoints étaient abstinents depuis déjà un certain temps, en me disant qu’elles avaient beaucoup de chance et que je voudrais tellement être à leur place et je ne savais vraiment pas ce que je pourrais donner pour y arriver.

Certaines ont parlé de leurs souffrances, de leurs angoisses, des conflits familiaux, des amis perdus,  d’autres de la perte de confiance, du dialogue qui n’existait plus, Et moi dans tout ça ?  Moi,  j’arrive avec mon lot de souffrance, ma rage au cœur, l’envie de fermer tous les bars, d’arracher toutes les vignes et là je la pose ma question « qu’est-ce que je peux faire pour que mon mari arrête de boire ? » 

Et voilà qu’on me parle d’une maladie ! OUI on me dit que l’alcoolisme est une maladie. Comment ça ? je n’en crois pas mes yeux ; une maladie !  mon mari est donc malade . Cette révélation me ramène 17 ans en arrière, l’année où est décédé mon père alcoolique. Mon père était malade lui aussi et on ne m’a jamais parlé de maladie.

J’étais jeune et on me disait surtout de ne rien dire, de tout cacher et après son décès on ne m’en a plus jamais parlé. Son départ était pour moi une délivrance et je n’ai pas eu de chagrin car j’avais beaucoup souffert ; pour moi mon père était un méchant ; il buvait et nous souffrions ;  c’était pour moi un vice et voilà qu’aujourd’hui on me parle de maladie ; mon père était malade ? mais ça change tout et je sens soudain un sentiment de culpabilité m’envahir. Mon père n’était pas un mauvais, il était seulement malade et moi qui n’ai pas voulu lui rendre visite  à l’hôpital tellement je lui en voulais et il est parti.

C’est beaucoup tout ce que j’entends ce soir-là.  Je me sens un peu perdue, épuisée par tant d’émotions et j’ai besoin de parler ; j’ai en fait, beaucoup parlé ce soir-là, j’ai beaucoup pleuré également et en même temps c’était rassurant car je parlais à des personnes qui comprenaient puisqu’elles avaient connu le problème de l’alcool et de plus Mado avait dit au début qu’on pouvait parler en toute confidentialité et sans être jugée. Rapidement je me suis sentie protégée comme dans un cocon et ça fait du bien, beaucoup de bien .

J’ai ressenti  beaucoup d’écoute, on m’a rassuré en me disant OUI c’est une maladie et ça se soigne. Alors tout n’est donc pas perdu et si ça se soigne alors on va peut-être s’en sortir ? Peut-être ? en tout cas c’est sûr,  je vais tout mettre en œuvre de mon côté pour l’aider ; je voulais qu’il s’en sorte  et qu’on ait une vie de famille « normale », sans trop d’histoire en tout cas et surtout sans ce problème d’alcool. Alors j’ai pris sur la table une feuille sur laquelle étaient notées toutes les réunions de l’année, puis une autre contenant toutes les animations festives ; je les ai rapportées à la maison pour noter les dates sur mon agenda et là je me suis dit que j’assisterais à toutes ces manifestations seule ou avec lui s’il le voulait. J’allais faire le maximun pour l’aider m’appuyant sur les témoignages et les expériences des unes et des autres  et que dans 2 ans si rien n’avait bougé et bien je partirai avec les enfants, sans culpabilité ou plutôt avec moins de culpabilité car j’avais aussi compris que je ne pouvais pas tout faire et surtout pas faire à sa place.

GERER c’était son mot ; il pouvait gérer disait-il ; les autres peut-être pas mais lui il y arriverait.  Il lui a fallut beaucoup de temps pour comprendre et admettre qu’il ne pouvait pas gérer et que l’abstinence était sa solution pour s’en sortir.

Moi de mon côté j’ai continué d’avancer en assistant à toutes les réunions d’entourage qui m’ont permis de :

–       Mieux comprendre la maladie

–       Déculpabiliser

–       Prendre du recul et penser un peu à moi ; faire des choses pour moi

–       Lui refaire confiance et il m’a fallut beaucoup de temps

–       Retrouver la confiance en moi

–       Réapprendre à vivre à 2 : il avait beaucoup changé car venant aux réunions des abstinents, lui aussi avançait

–       Renouer le dialogue

–       S’ouvrir vers les autres ; l’alcool nous avait un peu coupé du monde extérieur

Une autre vie en somme et combien plus agréable à vivre pour nous et pour nos enfants. J’ai pu comprendre alors l’importance des groupes de malades et en parallèle l’importance des groupes d’entourage qui nous permettent à nous membres de l’entourage de sortir de la co-dépendance souvent bien installée. Le malade dès qu’il entre dans une phase de soin change très vite et l’entourage si rien n’est fait pour lui ou s’il ne fait rien pour lui-même se sent vite perdu, ne s’y retrouve plus et peut rapidement sombrer dans la dépression.

 Mon entrée dans le groupe entourage c’était il y a bientôt 25 ans ; depuis,  je continue toujours d’assister aux espaces de paroles et à mon tour j’apporte mon expérience qui comme ce fut le cas pour moi peut apporter de la lumière, de l’espoir aux nouvelles personnes que nous accueillons.

 La vie est belle et vaut vraiment la peine d’être vécue alors,  avec l’aide d’ Alcool Assistance, et avec l’aide de chacun d’entre nous, donnons-nous les moyens de pouvoir bien la vivre et d’en profiter pleinement et n’ayons pas l’œil sans cesse fixé sur le rétroviseur du passé mais projetons toujours les phares du présent sur la route de l’avenir.

                                                                       Annie.